#JamaisSansElles : mettre en lumière l’absence de femmes

#JamaisSansElles : mettre en lumière l’absence de femmes

Vous êtes vous déjà retrouvé face à un panel d’experts où aucune femme n’était présente ? Cette situation est arrivée plus d’une fois à Natacha Quester-Séméon qui a décidé un jour de changer la donne. Elle a lancé #JamaisSansElles, un mouvement qui a vu le jour en France et qui a rapidement rallié plusieurs personnalités françaises, dont le président Emmanuel Macron.

Dans le cadre de Tous pour toutes — une série de dialogues entre des leaders de Montréal et de Paris autour de l’enjeu de la parité hommes-femmes —, Isabelle Marquis, rédactrice en chef de L’effet A, s’entretient avec Natacha Quester-Séméon, l’une des cofondatrices du mouvement #JamaisSansElles.

Isabelle. Natacha, il y a des similitudes entre nos deux mouvements, dans cette volonté de révéler le talent féminin. Avec L’effet A, on vise à renforcer l’engagement professionnel des femmes, à leur donner le courage de se dépasser et de poser des gestes concrets pour propulser leur ambition. Avec #JamaisSansElles, vous souhaitez mettre en lumière l’absence de femmes dans certains secteurs d’activité, dont le numérique. C’est bien cela ?

Natacha. Oui. Je dirais que #JamaisSansElles est un mouvement citoyen de promotion de la mixité par des hommes et des femmes. Le principe est simple, mais redoutablement efficace : des hommes influents de tous les domaines s’engagent à ne participer à aucune conférence ou table ronde qui ne comprend pas au moins une intervenante. Le but est de rappeler au monde et aux dirigeants masculins qu’il n’est plus acceptable de discuter d’enjeux importants sans la présence des femmes. Avec #JamaisSansElles, ils s’engagent à rendre les femmes plus visibles !

Isabelle. Comment ce mouvement a-t-il vu le jour ?

Natacha. Le mouvement #JamaisSansElles est né en janvier 2016, mais il découle du vaste parcours de ma mère, Tatiana F. Salomon. Professionnelle aguerrie du numérique et pionnière du Web, elle fait partie des premières personnes en Europe à avoir souligné les enjeux sociétaux et citoyens de la révolution numérique, dont le fossé entre les hommes et les femmes dans ce domaine. Puisque j’ai été impliquée à un tout jeune âge dans ses activités associatives, je suis vite devenue, moi aussi, une entrepreneure humaniste du digital. Nous avons créé différentes initiatives qui ont évolué au fil du temps et qui nous ont amenées à fonder #JamaisSansElles.

Isabelle. Des faits ou des événements précis vous ont-ils incité à passer à l’action ?

Natacha. Il y a eu différents éléments déclencheurs. Je pense entre autres à ces tables rondes sur le numérique où, nous le constations avec étonnement, Tatiana et moi étions les seules intervenantes femmes.

Puis il y avait ces photos d’événements importants qui circulaient sur Twitter et sur lesquelles n’apparaissaient que des hommes, auxquelles on réagissait ouvertement : « Et les femmes, où sont-elles ? »

Isabelle : Ça me fait penser au regroupement québécois « Décider entre hommes » ! Qu’est-il arrivé ensuite ?

Natacha. Au fil du temps, des hommes haut placés ont commencé à s’intéresser de près à nos actions et ont même intégré un regroupement que Tatiana avait fondé pour eux, le Club des Gentlemen [NDR : un groupe d’entrepreneurs et de personnalités du numérique, acteurs et promoteurs du débat citoyen, engagés dans la transformation digitale de la société, dans le respect des valeurs humanistes.]

Guy Mamou-Mani, président du Groupe Open, est d’ailleurs le premier à s’être commis publiquement à travers un tweet, annonçant qu’il refuserait dorénavant de participer à toute manifestation publique ou tout événement médiatique où seraient débattus, commentés ou jugés des sujets d’intérêt commun, sociétal, politique, économique, scientifique ou stratégique, et qui ne compterait aucune femme parmi ses intervenants. Benoît Thieulin, qui était à l’époque le président du conseil national numérique français et fondateur de l’agence d’innovation numérique La Netscouade, s’est également engagé via un tweet. C’est de ces premières prises de position qu’est né #JamaisSansElles.

Depuis, le nombre de signataires de #JamaisSansElles augmente continuellement. Parmi eux, des politiciens, des dirigeants d’entreprise et des ambassadeurs français partout dans le monde. Chacun s’engage à porter le message dans leur domaine afin d’ouvrir des discussions sur la place (ou l’absence !) des femmes dans toutes les sphères de la société.

La parité et la mixité hommes-femmes en France et au Québec

Isabelle. Au Québec, et un peu partout en Amérique du Nord, les femmes réclament de plus en plus leur place et dénoncent ouvertement les injustices. À ton avis, la situation en France est-elle bien différente ?

Natacha. J’ai rencontré Isabelle Hudon avec Tatiana et je dois dire qu’elle apporte de la fraîcheur en France ! On est très admiratives de son travail au sein du G7 et de son action personnelle. Le Québec a certainement une longueur d’avance.

En France, nous manquons de figures féministes contemporaines. Ce qui commence à changer, c’est que nous avons maintenant des dirigeants masculins et féminins qui promeuvent ensemble la visibilité des femmes et l’égalité entre les hommes et les femmes, et qui agissent réellement en ce sens.

Isabelle. Le Québec est une société plus jeune et moins traditionnelle que la France, donc peut-être que les codes sont moins complexes à redéfinir. Est-ce pour cette raison que le mouvement #JamaisSansElles privilégie la mixité plutôt que la parité, et des actions plutôt que des lois ?

Natacha. Dans certains domaines, de l’industrie du bâtiment jusqu’à la cybersécurité, c’est extrêmement difficile d’avoir une moitié de femmes et donc d’atteindre la parité. La mixité permet d’ouvrir la porte.

Notre objectif est d’entamer des conversations et d’éveiller les consciences sur l’importance de la présence des femmes et de s’assurer que tous les milieux bénéficient de la diversité. Les dirigeants masculins reçoivent et entendent notre message parce qu’on est dans le dialogue et la collaboration. Pas dans l’imposition.

Les signataires du mouvement nous ont contactées de leur propre chef. Ils sont maintenant 220 entrepreneurs, dirigeants, diplomates, députés et personnalités dans une trentaine de pays à avoir signé la charte des dirigeants de #JamaisSansElles. Et, l’an passé, les candidats de l’élection présidentielle ont signé la charte de gouvernance pour s’engager à ce que des femmes soient présentes dans des postes clés partout, incluant en politique.

Des échos partout dans le monde grâce aux médias sociaux

Isabelle. Le mouvement a connu un succès sans précédent ! On parle entre autres de 170 000 tweets avec le hashtag #JamaisSansElles. Dirais-tu que d’utiliser les médias sociaux est la nouvelle façon de revendiquer ?

Natacha. Le succès de notre hashtag reflète l’écho qu’il a eu chez les citoyens. Il a touché des dizaines de millions de personnes. Le public se l’est immédiatement approprié pour signaler des injustices ou pour faire connaître des femmes inspirantes. Nous sommes dans l’action positive et bienveillante.

On l’a vu avec Obama et on le constate avec Emmanuel Macron, les médias sociaux contribuent à une démocratie participative. L’appui de la diplomatie française est d’ailleurs énorme, on a gagné 40 signataires diplomates en une semaine, idem pour les députés français. Le mouvement #JamaisSansElles est viral et l’action a été reprise dans plusieurs langues et aux quatre coins du monde : aux États-Unis, au Mexique, en Argentine, en Allemagne, en Espagne et au Danemark.

Isabelle. C’est ce que vous voulez, faire de #JamaisSansElles une initiative mondiale ?

Natacha. Tatiana et moi, nous souhaitons développer l’association avec l’appui de politiciens et d’entrepreneurs partout dans le monde.

Pour nous, les entrepreneurs sont très importants. Outre le fait que l’entrepreneuriat fasse partie de notre ADN familial, les entrepreneurs sont des acteurs majeurs de la société civile. Ils ne sont pas dans le discours, mais dans l’action !

Le PDG de Zendesk, Mikkel Svane, est le premier signataire aux États-Unis et il souhaite que son entreprise nous aide à lancer le mouvement dans la Silicon Valley. C’est fascinant comme la technologie représente à la fois un milieu d’hommes et un outil pour propulser l’avenir des femmes.

Isabelle. Absolument ! J’invite d’ailleurs les membres de la communauté L’effet A à s’abonner à l’infolettre de #JamaisSansElles, qui propose une veille d’articles sur l’égalité hommes-femmes et qui est produite par votre robot ELLA. À très bientôt, Natacha !

Natacha. À bientôt, Isabelle !