«Code-switching» : être ou ne pas être soi-même au travail

«Code-switching» : être ou ne pas être soi-même au travail

Ça nous est tous déjà arrivé : tout juste prononcés, nos propres mots sonnent faux à nos oreilles. Pourtant, bien que le ton et les gestes soient calculés, tout ce qui est communiqué est sincère. Personne ne remarque quoi que ce soit d’anormal. Et c’est bien l’intention : faire bonne impression, projeter une certaine image. Mais cette «adaptation» de la réalité, cette distorsion que l’on crée de sa propre identité, est une arme à double tranchant qui affecte un besoin naturel d’authenticité. Si vous êtes une femme qui travaillez dans un monde d’hommes ou, plus encore, si vous êtes une personne issue d’une minorité culturelle, le phénomène vous est certainement familier : on parle ici de l’alternance codique, mieux connue en anglais sous le terme «code-switching».

Pour Nour*, qui est analyste, la pression était grande, se souvient-elle. En plus de devoir performer, elle ressentait une pression immense pour «se conformer» à la majorité, afin de bien s’entendre avec ses collègues. Pour y arriver, elle n’a pas toujours été elle-même au travail. Dans le bureau qu’elle partageait avec une autre collègue, également une femme racisée, les conversations étaient teintées de familiarités, d’histoires personnelles et de références culturelles, trame sonore à l’appui. «Ce sont des choses qu’on n’aurait jamais faites devant les autres», explique Nour au sujet de ses autres collègues, avec qui elle ne se serait jamais sentie à l’aise d’être aussi familière.

Quand elles quittaient leur cocon, les deux collègues modifiaient leur comportement pour ne pas créer d’inconfort. Comme des milliers de professionnelles, Nour était dans un état de vigilance constante, et ce, même auprès d’une petite équipe où les gens étaient très proches.

Code-switching : entre opportunité et contrainte

L’alternance codique désigne la manière dont une personne modifie sa façon de parler, d’agir ou de se vêtir selon le contexte social dans lequel elle se trouve. Cela se produit naturellement dans certaines circonstances : on ne s’exprimera pas de la même façon si on doit faire un discours officiel dans un contexte professionnel que si l’on raconte une anecdote à une amie.

Cependant, lorsqu’elle se trouve en minorité au sein d’un groupe, il n’est pas rare que cette même personne doive recourir au code-switching pour s’adapter aux individus qui l’entourent et se sentir acceptée. C’est souvent le cas des femmes qui évoluent dans des milieux à prédominance masculine, mais encore plus des personnes qui sont issues de minorités culturelles ou des communautés LGBTQ+. C’est là que le bât blesse, car il y a en fait deux façons d’utiliser l’alternance codique.

Le code-switching d’opportunité est vu comme une pratique stratégique en milieu de travail. Il est utilisé volontairement pour s’adapter au discours de certains groupes, pour les intégrer plus facilement et renforcer les liens de confiance.

Le code-switching de contrainte est en contrepartie «subi» par ceux et celles qui n’ont d’autres choix que d’y recourir pour s’intégrer. La pratique, apprise dès un jeune âge, puis renforcée par leurs expériences personnelles et professionnelles, leur permet de s’éloigner de stéréotypes et de préjugés (ou biais inconscients) qui leur sont accolés.

C’était le cas de Nour, qui craignait de ne pas être considérée de la même manière que ses collègues dans un cercle où l’homogénéité était de mise. «Non seulement tu es en minorité dans ton lieu de travail, mais tu es aussi perçue comme étant différente», explique-t-elle. Dans un tel contexte, quelle place reste-t-il pour l’authenticité?

Choisir entre authenticité… et réussite

«Pourquoi tu code-switches? Tu n’as qu’à être toi-même, non?», déclare Nour, en citant les commentaires reçus de la part de gens qui n’ont pas à composer avec cette réalité. Mais ce n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît, poursuit la principale intéressée. Dans plusieurs environnements de travail, le professionnalisme, qui influence grandement l’avancement professionnel des individus, est souvent associé à un certain ton, langage ou style de leadership. Une étude réalisée auprès de 1 144 employé.es américain.es de différentes cultures et orientations a d’ailleurs démontré que les personnes qui utilisent le code-switching sont plus susceptibles d’être promues que celles qui ne le font pas. Nour, qui, dans son quotidien, ponctue son discours d’expressions arabes, ne se permet pas toujours de le faire au travail. «Les gens ne comprennent pas, alors ça les rend inconfortables», soutient-elle.

«La langue est une voie d’accès à la culture et à la participation», croit Nour, qui a réfléchi à la question. «Tu veux démontrer que toi aussi, tu fais partie de la culture», explique-t-elle. Mais à quel prix? Car après tout, la plus grande force des organisations provient de la somme de ses employés. Encore plus lorsque ses talents sont diversifiés… et qu’ils ont la possibilité de contribuer en toute authenticité!

C’est donc la culture des organisations qui doit changer, croit Nour. Tout le monde devrait être en mesure d’exprimer ses ambitions professionnelles en s’affichant tel qu’il est, sans soulever d’interrogation. Au-delà des efforts d’inclusion, il s’agit de déconstruire les biais qui dictent encore les façons de faire dans les entreprises.
Aujourd’hui, à une autre étape de sa carrière, la jeune professionnelle ne craint plus autant de se manifester. C’est notamment grâce au soutien de collègues racisés. Avec le temps et l’expérience, elle a également pris confiance en ses capacités. Si le code-switching demeure une réalité, il faut poursuivre les efforts pour faire des environnements de travail des espaces sécuritaires et favorables au succès de tous.
*Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat.

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