Accélérer la mixité: entrevue avec Marie-Christine Mahéas
Marie-Christine Mahéas, directrice du Centre Mazars pour la diversité et l’inclusion à Paris et coordinatrice de l’Observatoire de la mixité, étudie et soutient l’équilibre entre les hommes et les femmes depuis 18 ans. Nous avons récemment lu l’ouvrage qu’elle a codirigé, Remixer la mixité, et elle a accepté de répondre à plusieurs questions de L’effet A.
Les tendances qui ont un impact sur la parité
L’effet A: Quels sujets d’actualité touchent en ce moment la mixité dans les entreprises?
Marie-Christine Mahéas: Avant on parlait beaucoup de coaching en leadership féminin, comme si les femmes devaient être réparées. Maintenant, on a une approche beaucoup plus précise pour accélérer l’atteinte de la parité. Pourquoi? Parce que c’est un sujet qui touche directement de plus en plus de personnes. Voici trois éléments qui ressortent en ce moment.
- Recrudescence du sexisme en France: Le Haut Conseil à l’Égalité entre les Femmes et les Hommes, qui est une structure qui conseille le gouvernement français sur les questions de mixité, a récemment publié un rapport sur l’état du sexisme, les jeunes hommes sont de plus en plus nombreux à percevoir certaines formes de sexisme comme «normales». Par exemple: 40 % des hommes contre 27% des femmes déclarent qu’il est normal que les femmes arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants.
- Le rôles des hommes, notamment dans la parentalité*, est plus que jamais d’actualité. Plus les hommes seront impliqués dans la parentalité, plus cela soulagera le fardeau de la maternité. Aujourd’hui encore, la charge mentale est essentiellement chez les femmes, et il est difficile de concilier charge mentale et vie professionnelle dans les rôles de haute-direction. Chez Mazars, nous venons même de faire passer le congé paternité financé à la même durée que le congé maternité, soit 2,5 mois!
- Une solution qui fonctionne de mieux en mieux: le mentoring [ndlr: mentorat]. Dans le cadre de mes fonctions à l’Observatoire de la mixité, 17 dirigeants forment un club de type «think tank». Ils ont décidé de devenir, chacun, mentor d’une femme à très haut potentiel, d’une société d’un de leurs collègues du club. Par exemple, l’un est PDG et mentore une femme membre du Comex [ndlr : comité exécutif] de son collègue. C’est vraiment vu comme un moyen d’aider les femmes à franchir la dernière marche, la plus difficile, soit celle d’entrer au Comex, ou de devenir dirigeante d’une filiale du groupe, etc. Malgré quelques doutes sur le mentoring, j’observe des effets positifs à la fois sur la personne mentorée et sur le mentor, à condition que ce soit fait dans les règles. Ça veut dire donner une vraie responsabilité au mentor et à la mentorée.
*Avec l’allongement du congé de paternité à 25 jours plutôt que 11 en 2021 en France [ndlr].
Le mentorat: pour «réparer» les femmes?
L’effet A: Dans le cas du mentorat pour les femmes, pensez-vous qu’on parle de «réparer» les femmes, comme s’il leur manquait quelque chose?
Non, les femmes ne sont pas brisées
Marie-Christine Mahéas: Ce n’est pas une réparation comme si on parlait de quelque chose de brisé. C’est d’une part, un effet de rattrapage pour promouvoir plus de femmes, donner plus de chances à plus de femmes pour rétablir un équilibre «mathématique» dans les instances dirigeantes. D’autre part, il y a des différences entre les femmes et les hommes liées à un type d’éducation. Ce ne sont pas des «défauts» mais seulement des «différences». Par exemple, les femmes sont, en général et selon la recherche, moins amenées à prendre la parole en réunion. Pourquoi? Une étude a été réalisée dans les écoles primaires: les petites filles s’y voient moins souvent donner la parole que les petits garçons. Ce n’est qu’un exemple, mais on peut imaginer que 20 ans plus tard, les femmes auront en général plus de mal à prendre la parole.
Dans le cas d’une autre étude menée par l’Observatoire de la mixité, on a remarqué que moins de femmes que d’hommes proposent leur candidature sur des promotions internes. La raison? Les hommes répondent vite (dans le délai prévu), alors que les femmes prennent plus de temps à postuler car elles se posent plus de questions (elles consultent leur conjoint, une ami·e, un·e collègue). Les femmes ont aussi tendance à s’évaluer de manière moins positive en évaluation annuelle (par rapport aux hommes).
Un outil pour donner confiance
Marie-Christine Mahéas: Mis bout à bout, ces éléments ne sont pas des défauts à réparer. Ils proviennent simplement d’un type d’éducation, qui freine les femmes dans l’obtention de promotions. Le mentorat arrive alors comme un des outils pour donner confiance à la mentorée, pour l’encourager, pour ouvrir des portes et lui faire comprendre des règles du jeu qui sont encore masculines.
Le mythe du pourvoyeur persiste
L’effet A: Les hommes vivent-ils aussi des contre-coups de leur éducation de type masculine?
Marie-Christine Mahéas: Moins que les femmes, mais oui. Comme a dit Pierre Bourdieu, sociologue: «La virilité est un privilège, mais aussi une charge» (La domination masculine, 1998). [Dans le fond], les hommes se mettent une pression d’enfer pour réussir, parce qu’ils se font dire très jeune que ce sont eux qui vont avoir la charge financière du foyer. Ils ont la pression de réussir très vite et de la manière la plus verticale possible, avec tous les effets secondaires de violence, de burnout et de mise de côté de la paternité au profit de leur carrière, davantage vécue par les hommes que par les femmes. Par ailleurs, certains hommes peuvent être perplexes face au plus grand volume de promotions de femmes que d’hommes. Tout cela est à garder à l’esprit si l’on veut faire progresser la mixité sans créer de frictions.
Mais si on parle de vie professionnelle, ce sont plutôt les femmes qui sont impactées par ces différences. Et quand je dis différences, je ne parle pas de stéréotypes. Et c’est là la difficulté. En tant que dirigeant, on doit avancer sur une ligne de crête. D’un côté, on vous dit qu’il faut lutter contre les stéréotypes et de l’autre côté, qu’il faut tenir compte des différences. Il y a de quoi s’y perdre! Ça prendra encore plusieurs années pour [naviguer facilement entre ces deux zones]. Il faut continuer de changer l’entreprise et ses processes pour vivre avec ces différences et rendre l’organisation «bilingue» femme-homme, tout en luttant contre les stéréotypes.
Concrètement, comment accélérer la parité?
Marie-Christine Mahéas: Justement, nous venons de publier au sein de l’Observatoire un livre vert, regroupant 6 mesures concrètes pour accélérer la mixité dans les organisations. La première mesure est l’engagement des dirigeant·es envers la mixité. La première étape de cette mesure? Se former et former son équipe aux stéréotypes et aux biais!
S’abonner à la revue trimestrielle
Pour tout savoir sur vos talents et créer un monde où la parité est la norme. Grande étude, contenus, événements… Inscrivez-vous à nos communications d’affaires pour ne rien manquer.
Pour en apprendre plus sur les recherches de Marie-Christine Mahéas, procurez-vous son ouvrage.